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Comprendre les contraintes budgétaires de la défense canadienne

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Comprendre les contraintes budgétaires de la défense canadienne. (Archives/Banque du Canada)

Le dernier budget fédéral a laissé un arrière-goût amer à plusieurs au chapitre de la défense nationale. Si le soutien aux vétérans s’est amélioré, c’est loin d’être la même histoire concernant les acquisitions militaires, alors que près de 8,5 G$ seront reportés d’ici les 20 prochaines années. Officiellement, cette réallocation des budgets de la défense non-utilisées en 2015-2016 est pour offrir la souplesse nécessaire au gouvernement pour des programmes-clés d’achats et de mise à niveau d’équipements et de véhicules. Mais, comme le rapportait pour CBC l’analyste Dave Perry (Canadian Global Affairs Institute), une telle justification n’a aucun sens puisque le budget reconnait lui-même qu’il «y a suffisamment de fonds disponibles pour ces projets».

Dans les faits, nous avons donc une réduction réelle du budget de la défense pour 2016-2017. Cela n’aura pas empêché le ministre Sajjan d’affirmer cette semaine que le gouvernement libéral, à travers la nouvelle politique de défense du Canada qui sera incessamment annoncée, va s’assurer que la Défense bénéficie de fonds «réalistes» pour combler ses besoins de base, notamment en termes de désuétude des équipements. Pour le ministre, cette désuétude s’expliquerait par des désinvestissements importants du précédent gouvernement conservateur, notamment sur des programmes de remplacement des flottes aériennes et navales.

S’il n’y a pas nécessairement de contradictions évidentes entre la déclaration du ministre Sajjan et le contenu du budget 2017, on peut néanmoins relever l’incohérence du message général, ne serait-ce que par le flou des termes utilisés dans les deux cas. Si des réponses se trouveront peut-être dans la nouvelle politique de défense, on peut quand même expliquer d’où vient cette incohérence à travers les trois grandes contraintes affectant le budget de la défense: politico-administratives, matérielles, et opérationnelles. Et, comme nous le verrons, le Canada est encore loin de pouvoir augmenter significativement et de façon soutenue son budget militaire.

Les contraintes politico-administratives

La première contrainte qui nous vient à l’esprit est bien évidemment celle du budget national lui-même. Ce budget n’est évidemment pas réservé entièrement à la défense nationale et couvre tous les ministères. Mais au-delà des diverses missions de l’État, on retrouve aussi certaines contraintes au niveau même du processus d’acquisition, à deux endroits.

Il y a d’abord la «commande», soit l’énoncé des besoins. Celui-ci se fait normalement en lien avec la politique de défense, mais inclus aussi les besoins exprimés par l’état-major des Forces. De là, le gouvernement peut publier un guide d’acquisition de la Défense (comme en 2004 et en 2014), permettant à l’industrie de se préparer aux besoins à venir. Le problème ici est que ce guide est, au mieux, une liste de souhaits, puisqu’il n’est pas issu du budget ou du Conseil des ministres. Autrement dit, ce guide n’a aucune autorité réelle.

À cela, il faut ajouter la complexité particulièrement élevée du processus d’acquisition. Celle-ci est connue depuis déjà quelques années, mais le professeur Yan Cimon l’a exposée en détails, notamment à la 7e Rencontre Université-Défense de l’Université Laval. Cette complexité labyrinthique, bureaucratique, entraîne plusieurs boucles de rétroaction sur tout achat entre l’armée, les fonctionnaires, le sous-ministre, le ministre et le cabinet du premier ministre. Cette structure rend donc tout achat particulièrement long, rendant particulièrement difficile des achats urgents ou de profiter d’opportunités. On peut ainsi penser à la controverse autours du projet Resolve : Chantiers Davie s’est buté à plusieurs embûches, car ne respectant pas le processus d’acquisition, pour offrir de convertir un porte-conteneurs en navire d’approvisionnement afin de combler une lacune temporaire de la Marine royale à cet égard.

Les contraintes matérielles

Si les achats futurs font certainement couler beaucoup d’encre, il ne faut jamais oublier qu’ils sont dépendant des capacités actuelles des Forces. Ces capacités sont tributaires de l’état actuel de matériel, matériel qui nécessite des fonds pour être gardé en bon état. Ces fonds sont donc évidemment indisponibles pour de nouveaux achats et représentent une part importante des budgets.

Dans certains cas, on parle de maintenance (notamment sur les véhicules), dans d’autres cas, on parle de dépenses récurrentes liées au remplacement de matériel dont on ne peut se passer (par exemple, les uniformes). Dans tous les cas, ce sont généralement des dépenses peu «glamour», qui ne font pas souvent l’objet d’annonces publiques, encore moins de débats publics. Pour autant, l’impact budgétaire est réel et difficilement contournable.

Les contraintes opérationnelles

Le Canada est actuellement déployé à travers six grandes missions dans le monde. Si certaines demandent peu de ressources (par exemple, l’op KOBOLD, au Kosovo, avec seulement cinq membres des Forces), d’autres en nécessitent beaucoup, à l’image des op Reassurance et UNIFIER, totalisant quelques centaines de soldats en Europe de l’Est. Il s’agit, comme dans le cas des contraintes matérielles, de coûts qu’on peut difficilement éviter: les troupes déployées doivent être soutenues adéquatement.

À cela, il faut ajouter les opérations à venir. Op Reassurance est appelée à prendre encore de l’expansion avec le déploiement prochain d’un bataillon canadien en Lettonie, dans le cadre de la nouvelle présence avancée de l’OTAN en Europe de l’Est et dans les Baltiques. Au-delà de Reassurance, le Canada est aussi régulièrement impliqué dans les opérations de l’OTAN et doit donc prévoir des ressources à cet égard, sans nécessairement savoir d’avance sur quelles missions ou exercices les membres de l’OTAN vont s’entendre. Finalement, on doit aussi ajouter la volonté du gouvernement libéral d’effectuer un «retour» aux missions de Casques bleus (avec, ici aussi, le déploiement possible d’un demi à un bataillon en Afrique).

Et le futur?

Il y a donc plusieurs facteurs à tenir en compte, ce qui rend toutes prédictions hasardeuses. On peut quand même dégager certaines tendances à venir, notamment qu’il ne faut pas s’attendre à une réelle hausse du budget de la défense, du moins à court et moyen terme. Les contraintes du budget fédéral actuel rendent quasi-impossibles de dégager des sommes supplémentaires qui soient significatives et récurrentes pour la défense. Ce qu’on risque plutôt de voir, ce sont des annonces de dépenses ciblées, sur des périodes plutôt longues. Il y a le renouvellement de la flotte navale, mais aussi la mise à niveau des LAV et du reste du parc de blindés de l’armée. Et il y a, bien évidemment, le nouvellement de la flotte aérienne.

De ce côté, on risque d’avoir des petites surprises, puisqu’on pourrait très bien voir les capacités de l’aviation être augmentées au terme du renouvellement de la flotte. Il y a d’une part le fait que l’Aviation royale discute de l’acquisition de drones armées depuis bientôt cinq ans (ils étaient même prévus dans la dernière politique d’acquisition de la défense, en 2014!). Mais, et de façon beaucoup plus certaine, il y a une nouvelle volonté politique de renforcer significativement la présence aérienne canadienne en Europe. En l’état actuel des choses, lorsque le Canada déploie un groupe aérien à l’étranger, il est prévu que celui-ci soit rapatrié d’urgence au pays en cas de guerre. Cette nouvelle volonté voudrait que le groupe aérien ne soit plus rapatrié. Autrement dit, actuellement, le Canada se sépare d’une partie de sa force nécessaire à sa défense aérienne pour soutenir ses alliées. On voudrait qu’à l’avenir, on ait un «surplus» opérationnel que l’on puisse dédier aux alliés.

Ce qui peut donner une indication que cette volonté se matérialise est le fait qu’un tel groupe aérien comprend généralement six avions. Or, le gouvernement Trudeau vient d’annoncer l’achat de 18 Super Hornets, en attendant le renouvellement de la flotte aérienne. Ces Super Hornets seront neufs, ce qui signifie qu’ils auront une durée de vie quand même assez longue. On voit mal le Canada s’en départir rapidement, même en cas d’achat d’un autre modèle (comme le F-35), pour le renouvellement de sa flotte. Au demeurant, même si c’est le Super Hornet qui devait être choisi pour le renouvellement, lorsque celui-ci se fera, les nouveaux Super Hornet qui seront disponibles seront déjà une version améliorée de ceux que le Canada va acheter. Le Canada se retrouvera donc avec une mini-flotte aérienne de «vieux» Super Hornets, de probablement quelques anciens CF-18 et de nouveaux appareils. Il y aura donc certainement des capacités aériennes qui pourront être dédiées aux alliées.

Ceci dit, de façon générale, de tels investissements (blindés, navires, avions) s’étaleront dans le temps. Elles n’auront pas un très grand impact sur le budget total de la défense. Le meilleur exemple est celui du renouvellement de la flotte aérienne. Si les F-35 avaient été acheté comme prévu, avec une enveloppe de 16 G$ sur 10 ou 15 ans, l’impact sur le budget total de la défense (en moyenne de 20 G$, par année, depuis 2005), l’impact sur le budget de la défense, par rapport au PIB canadien, n’aurait été que d’environ 0,09 % … Bref, pour faire augmenter le budget de la défense à la cible de l’OTAN de 2% du PIB, on repassera. Si l’exemple ici est spéculatif, il n’en demeure pas moins représentatif du fait que ce genre de dépenses importantes est généralement étalé dans le temps, afin de permettre au gouvernement d’absorber la facture sans mettre en péril les autres missions de l’État.

Ce qui peut changer la donne serait une nouvelle mission à l’étranger importante. Quand on regarde la mission afghane, le budget militaire a augmenté de 0,25 % par rapport au PIB de 2001 à 2009, à 1,4% du PIB, avant de baisser à 1,15% dès 2010. Qu’est-ce qui est arrivé? 2009 a représenté le pic de l’engagement canadien en Afghanistan et le gouvernement a donc dû dégager rapidement des ressources importantes pour soutenir l’effort militaire. Mais ces ressources étaient ponctuelles, si bien que le budget de la défense est retombé à son niveau « normal », avant de diminuer davantage à partir de 2012, année où la mission afghane s’est terminée.

Mais en dehors d’une telle mission, on peut présumer que le budget de la défense va rester stable, au moins pour la prochaine décennie. Il va augmenter légèrement, dû au renouvellement nécessaire dans le matériel de l’armée, mais on n’atteindra jamais la cible OTAN 2%. Au demeurant, cette cible n’est plus une règle depuis 2014, la nouvelle règle étant que les membres ne peuvent plus voir leur budget descendre, en pourcentage de PIB, plus bas que leur niveau de 2014. De plus, 20% du budget militaire de chaque membre doit obligatoirement être dédié à des investissements majeurs (équipements importants, recherche et développement, etc.). En termes d’investissements majeurs cependant, le Canada risque très probablement de rencontrer la cible du 20%, ce qui lui permettra de soutenir son argument du « more bang for the buck » : ce n’est pas tant combien on dépense que comment on dépense qui importe.


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